Avis lecture : Le gardien sans sommeil – Guillaume Huon

livre

Coup de Coeur de la Rentrée littéraire d’hiver 2024 – édition Calmann-Lévy

« Le gardien sans sommeil » est un premier roman singulier à la fois doux et saisissant qui invente un genre nouveau : le thriller poétique.

Dès les premiers mots, j’ai su que j’allais adorer, la plume est magnifique, une écriture toute en finesse qui nous transporte dans un récit contemplatif et intense.

Guillaume Huon nous livre dans ce roman à l’allure d’un conte rural, un regard bouleversant sur la paternité et notre rapport à la nature.

A Igarka, un mystérieux village isolé entouré de collines, tout le monde dort pendant la saison de grands froids. Le peuple y vit au rythme lent des saisons, une vie de choses simples mais rude. Dans les champs immenses, ils récoltent sans relâche pour leur longue hibernation. Seuls les Veilleurs et les nourrices restent éveillés grâce à un étrange breuvage pour garder les animaux et les enfants au Temple. Quand le sergent Sören devient père et qu’un meurtrier se cache au village, il décide de ne pas s’endormir pour un très long hiver…

Le rythme est assez lent sans jamais être vide de sens. On accompagne Sören dans différentes saisons, dans sa vie bouleversée par l’arrivée de son enfant, son émerveillement, ses craintes, jusque dans sa solitude d’un hiver incroyablement long sans sommeil.

Malgré que le récit soit à la troisième personne, on ressent vraiment toute la personnalité attachante de Sören, un homme tellement bienveillant et prévenant envers sa femme. Qui a beaucoup d’inquiétudes mais un courage sans faille.

L’univers est décrit à la perfection, comme si le paysage était peint avec des mots, jusqu’à nous faire ressentir le froid et entendre les pas dans la neige, le feu crépiter… Il arrive à nous plonger dans un endroit à la fois onirique et sombre, presque dystopique, dont on ne sait pas situer dans le temps, tout en décrivant les émotions et la psychologie humaine avec un incroyable réalisme.

Au delà de ce qu’on pourrait croire dans le résumé, ce n’est pas un roman policier, et l’intrigue du meurtre n’est pas le coeur même du récit, ce qui est raconté ici est le dévouement d’un homme pour protéger sa femme et son bébé. On oscille ainsi entre émerveillement et inquiétude.

C’est une de ces lectures où tu prends plaisir à parcourir la moindre phrase, le moindre mot comme autant de friandises à déguster. J’avais envie de relever tellement de phrases, mais finalement tout est tellement bien écrit que le roman est une citation à lui tout seul.

Un auteur doué à suivre assurément !

Je remercie les éditions Calmann-Lévy et Babelio pour avoir fait cette belle découverte grâce à l’opération masse critique.

Extraits / Citations :

« Igarka était peuplée de braves gens pour la plupart, occupés par leur bétail, par la culture des mêmes légumes, par l’orge surtout, le long de champs immenses qui donnaient l’impression, l’été, que le village ondulait sous des collines blondes. »

«Tout au fond, on frappait. Des assauts si indistincts qu’ils ne venaient pas seulement de loin, mais de longtemps. Les coups s’avançaient à sa recherche, ils avaient une bouche et répétaient la même chose, un mot qui était une alerte, une exigence – mais il ne parvenait pas à l’identifier. C’était un langage inconnu, ou bien on lui avait ôté la capacité de comprendre. Il avait un corps lui aussi désormais, il était dans la même réalité que ce bruit, ce cri de plus en plus élevé tandis que son corps devenait lourd. Le martèlement battait tout autour. Il crut d’abord qu’il était un cercle, mais une autre pensée se solidifia. Il était le centre. La cible. Le son le désignait, lui.»

« Il y avait des ronces comme cela, qui croissaient à l’ombre des talus, si vite qu’on aurait pu les voir ramper d’un jour à l’autre ; si l’on n’y prenait pas garde, leurs branches entremêlées, impénétrables, devenaient dee bosquets noirs où seuls les lièvres plongeaient. L’idée avait dû pousser de cette façon en lui. Ou se creuser un terrier, si profond qu’il n’y avait plus rien à faire. C’était ce que faisait le temps. Des galeries patientes, qui se révélaient trop tard.»

« Derrière lui le village s’éteignait : une impression qu’il était bien incapable de s’expliquer. Elle dépassait l’absence de bruits, de mouvements ; la lumière même s’estompait autour des bâtiments, et le paysage prenait la couleur de la solitude, dévoilant son effrayante sécheresse.»

« Depuis quelque temps il avait remarqué ce changement : cet accroissement de sa perception. Comme si le monde était devenu plus vaste et l’accablait de ses détails. Sören voyait davantage. Ce petit paquet de laine blanche, prisonnier dans les ronces. Les grappes nues du fenouil sauvage près de la clôture. Il se surprenait à regarder les feuilles mortes et leurs dentelures remarquables. Sous ses semelles, le sol était parsemé de milliers de petits monticules d’une terre noire qui s’entortillait, signes de l’activité invisible d’autant de milliers de vers. Peut-être que cet enfant à venir avait étendu sa vigilance. Ou peut-être que tout était devenu plus beau.»

« C’était heureux qu’il soit d’une nature tranquille, ou presque :il avait la fausse indolence de certains animaux sauvages, paraissant absent au monde la plupart du temps; et puis une bûche éclatait dans l’âtre et soudain ses yeux lançaient comme un éclair de défi sur les braises.»

 

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